Page:Nodier - Contes de la veillée, 1868.djvu/101

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mières miraculeuses, les autres avoient entendu le chant des anges se mêler à leurs chants pieux, et s’étoient arrêtées de respect pour n’en pas troubler la céleste harmonie. On se racontoit avec mystère qu’il y avait ce jour-là une fête dans le paradis, comme dans le monastère des Épines-Fleuries ; et, par un phénomène étranger à cette saison, toutes les épines de la contrée avoient refleuri, de sorte que ce n’étoit, au dehors comme au dedans, que printemps et parfums. C’est qu’une âme étoit rentrée dans le sein du Seigneur, dépouillée de toutes les infirmités et de toutes les ignominies de notre condition, et qu’il n’y a point de fête qui soit plus agréable aux saints.

Une seule inquiétude obscurcit un moment l’innocente joie des colombes de la Vierge. Une pauvre femme, toute souffreteuse et toute malade, s’étoit assise le matin sur le seuil du monastère. La tourière l’avoit vue, elle l’avoit imparfaitement soulagée ; elle avoit disposé pour elle un lit doux et tiède où reposer ses membres débiles, affoiblis par la privation, et depuis elle l’avoit inutilement cherchée. Cette malheureuse créature avoit disparu sans qu’on en retrouvât aucune trace, mais on pensoit que sœur Béatrix pouvoit l’avoir aperçue à l’église où elle s’étoit réfugiée.

— Rassurez-vous, mes sœurs, dit Béatrix émue jusqu’aux larmes de ces tendres soucis ; rassurez-vous, continua-t-elle en pressant la tourière contre son sein ; j’ai vu cette pauvre femme et je sais ce qu’elle est devenue. Elle est bien, mes sœurs, elle est heureuse, plus heureuse qu’elle ne le mérite et que vous n’auriez pu l’espérer pour elle.

Cette réponse apaisa toutes les craintes ; mais elle fut remarquée, parce que c’étoit la première parole sévère qui fût sortie de la bouche de Béatrix.

Après cela toute l’existence de Béatrix s’écoula comme un seul jour, comme ce jour de l’avenir qui est promis