Page:Nodier - Contes de la veillée, 1868.djvu/124

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Ils sont partis, Gervais, mais nous resterons au château !

Damnation ! m’écriai-je, notre cabane a donc disparu sous une autre avalanche ! — Non, Gervais, la cabane est là, et les bienfaits de M. Robert m’ont permis de l’embellir. — Eh bien ! lui répondis-je en me jetant tout en pleurs dans ses bras, jouissez des bienfaits de M. Robert ! je n’ai pas le droit de les refuser pour vous… mais, au nom du ciel, allons-nous-en !

J’avois eu le temps de réfléchir à notre position. Je savois qu’elle n’épouseroit pas un aveugle, et je me serois refusé à l’épouser moi-même depuis qu’elle avoit cessé d’être aveugle sans cesser d’être riche. C’étoit le malheur qui nous rendoit égaux ; et, du moment où cette sympathie s’étoit rompue, je perdois tous les droits que le malheur m’a donnés. Qui pourroit remplir l’intervalle immense que Dieu a jeté entre la merveille de la création, un ange ou une femme, et le dernier de ses rebuts, un orphelin aveugle ? Mais, que le ciel me pardonne ce jugement s’il est téméraire ! je croyais qu’elle ne m’abandonneroit pas tout à fait, et qu’elle me réserveroit, près d’elle, le bonheur d’entendre, dans un endroit où elle passeroit quelquefois, ou flotter sa robe de bal, ou crier le satin de ses souliers, ou tomber de sa bouche ces mots plus doux au moins qu’un éternel adieu : Bonsoir, Gervais !

Depuis ce temps-là, je n’ai plus rien à raconter, presque plus rien.

Au mois d’octobre elle m’envoya un ruban, à caractères imprimés en relief, et qui portait : ce ruban est le ruban vert que j’avois sur mes yeux. — Je ne l’ai pas quitté. Le voilà.

Au mois de novembre le temps étoit encore assez beau. Un des gens de la maison m’apporta quelques présents de son père. Je ne m’en suis pas informé.

Au mois de décembre les neiges recommencèrent.