Page:Nodier - Contes de la veillée, 1868.djvu/131

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Le soleil y donnoit en plein, et toutes les pâquerettes étoient fleuries, et toutes les violettes parfumoient l’air. Il n’y avoit pas jusqu’à la rose des Alpes qui n’eût repoussé.

Mais Gervais n’y étoit pas.

Je m’approchai de son banc. Il y avoit oublié son long bâton de cytise recourbé, noué d’un ruban vert avec des caractères imprimés en relief. Cette circonstance m’inquiéta.

J’appelai Gervais. — Une voix répéta : Gervais. Je crus que c’étoit l’écho.

Je me tournai de ce côté, et je vis venir Marguerite qui menoit un chien en laisse. Ils s’arrêtèrent. Je reconnus Puck, et Puck ne parut pas me reconnoître ; il étoit tourmenté d’une autre idée, d’une idée indéfinissable. Il avoit le nez en l’air, les oreilles soulevées, les pattes immobiles, mais tendues, pour se préparer à la course.

— Hélas ! monsieur, me dit Marguerite, auriez-vous vu Gervais ?

— Gervais ? répondis-je. Où est-il ?

Puck se tourna de mon côté comme pour me regarder, parce qu’il m’avoit entendu. Il s’approcha de moi de toute la longueur de sa laisse. Je le flattai de la main, il la lécha — et puis il reprit sa station.

— Monsieur, me dit-elle, je vous remets bien maintenant ; c’est vous qui lui avez donné cet épagneul qu’il aime tant, pour le consoler de la perte de son barbet qu’il avoit tant aimé. Le pauvre animal n’a pas été huit jours dans la vallée qu’il a été frappé d’une goutte sereine comme son maître. Il est aveugle.

Je relevai les soies du front de Puck ; il étoit aveugle. — Puck détourna la tête, lécha encore ma main, et puis hurla.

— C’est pour cela, continua dame Marguerite, que Gervais ne l’avoit pas amené hier.