Page:Nodier - Contes de la veillée, 1868.djvu/146

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porté à croire que personne ne dormit. Nous commencions à recueillir le premier fruit des richesses.

Les jours suivants se passèrent assez paisiblement, à jouir entre nous de l’idée de notre bonheur, et à nous confier nos projets. Seulement, à mesure qu’ils se développoient dans notre esprit, nous concevions la possibilité d’en étendre la portée dans une proportion presque infinie, et au bout d’une semaine, le plus modéré de la troupe étoit mécontent de son lot ; car l’insatiable cupidité des riches leur crée, au milieu de leur prospérité apparente, une pauvreté relative plus difficile à supporter que la pauvreté absolue des malheureux de la terre. J’avois remarqué cette disposition dans mes compagnons, quand nous nous arrêtâmes pour camper sur l’emplacement d’une ville antique dont la vaste enceinte et les ruines superbes annonçoient la vieille capitale d’un grand peuple. Mon talisman m’y déceloit presque à chaque pas des trésors mille fois plus précieux que le nôtre ; mais nos bêtes de somme plioient déjà sous un fardeau qui ralentissoit considérablement leur marche, et l’avarice dont j’étois possédé me faisoit craindre d’ailleurs de nouveaux partages. Sous prétexte de visiter ces monuments dont la munificence n’avoit frappé que moi, je m’éloignai donc du reste de la caravane pour marquer à loisir, par des signes faciles à retrouver, les lieux qui receloient tant de gages de mon opulence future, et je ne rentrai au camp qu’excédé de fatigue et de faim. Je fus étrangement surpris de l’agitation qui y régnoit à mon approche, mais elle ne tarda pas à m’être expliquée :

« Jeune homme, me dit un de ces voyageurs que j’avois remarqué parmi les plus déterminés de la bande, nous ne savons ni qui vous êtes, ni d’où vous venez ; et depuis dix jours que nous sommes ensemble, vous n’avez pu nous faire connoître, en aucune manière, les droits particuliers que vous prétendez faire valoir sur le trésor