Page:Nodier - Contes de la veillée, 1868.djvu/156

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en délivrer en un moment. Hâte-toi d’exécuter ce que tu nous proposes, et de prendre sa place auprès de nous, car telle est notre volonté. »

Ce langage me frappa de confusion et de terreur, parce que je comprenois pour la première fois que la fortune ne tient pas lieu de tout. J’étois à peine initié à la connoissance des lettres vulgaires, et, par conséquent, incapable d’exercer les fonctions de grand visir, dont l’éloignement où j’avois toujours vécu des affaires me faisoit concevoir une idée extravagante. Je ne me trouvois d’aptitude réelle qu’à être riche, état pour lequel j’imaginois qu’on a toujours assez d’esprit, et les exemples ne memanquoient pas. D’ailleurs, s’il faut l’avouer, j’estimois ma condition fort au-dessus de celle du grand visir et du calife lui-même, et je m’étois proposé plus d’une fois, dans mes projets de grandeur future, d’acheter un jour l’empire du monde. Je déclinai donc, sous les prétextes les plus spécieux que mon imagination me put suggérer, la haute faveur dont m’honoroit le commandeur des croyants, et je fus assez heureux pour colorer mon orgueil des apparences de la modestie et de la vertu. Il n’y a rien de plus aisé que de se donner les honneurs de la modération quand on n’a rien à désirer.

Le soir, les voleurs de mon or furent pendus, sans qu’il leur eût profité, et le trésor dont leur crime les avoit rendus maîtres passa dans les caisses du calife, qui n’en profita pas davantage.

Le lendemain, j’achetai des palais, des maisons de campagne, des meubles somptueux, des esclaves innombrables, des femmes de toutes les couleurs et de tous les pays. Les jours suivants, je mis en route des caravanes bien escortées pour aller recueillir dans la ville du désert les richesses immenses que je prétendois y avoir enfouies, et, j’ordonnai leurs voyages de telle manière que chaque soleil devoit me ramener, pendant une