Page:Nodier - Contes de la veillée, 1868.djvu/17

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sur les choses qu’il a lentement apprises et difficilement retenues, tandis qu’il déraisonne sur toutes celles qui tombent inopinément sous ses sens, et à l’égard desquelles il n’a jamais eu besoin de se prémunir d’une formule exacte. Je serois bien étonné si cela ne s’observoit pas dans la plupart des fous ; mais je ne sais si tu m’as compris.

— Je crois vous avoir compris, mon père, et je rapporterois dans quarante ans vos propres paroles.

— C’est plus que je ne veux de toi, reprit-il en m’embrassant. Dans quelques années d’ici, tu seras assez prévenu par des études plus graves contre des illusions qui ne prennent d’empire que sur de foibles âmes ou des intelligences malades. Rappelle-toi seulement, puisque tu es si sûr de tes souvenirs, qu’il n’y a rien de plus simple que les notions qui se rapprochent du vrai, et rien de plus spécieux que celles qui s’en éloignent.

— Il est vrai, pensai-je en me retirant de bonne heure, que les Mille et Une Nuits sont incomparablement plus aimables que le premier volume de Bezout ; et qui a jamais pu croire aux Mille et Une Nuits ?

L’orage grondoit toujours. Cela étoit si beau que je ne pus m’empêcher d’ouvrir ma jolie croisée sur la rue Neuve, en face de cette gracieuse fontaine dont mon grand-père l’architecte avoit orné la ville, et qu’enrichit une sirène de bronze, qui a souvent, au gré de mon imagination charmée, confondu des chants poétiques avec le murmure de ses eaux. Je m’obstinai à suivre de l’œil dans les nues tous ces météores de feu qui se heurtoient les uns contre les autres, de manière à ébranler tous les mondes. — Et quelquefois le rideau enflammé se déchirant sous un coup de tonnerre, ma vue plus rapide que les éclairs plongeoit dans le ciel infini qui s’ouvroit au-dessus, et qui me paroissoit plus pur et plus tranquille qu’un beau ciel de printemps.

Oh ! me disois-je alors, si les vastes plaines de cet es-