Page:Nodier - Contes de la veillée, 1868.djvu/173

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tons-nous à la volonté de celui qui peut toutes choses, et qui décidera seul de la destinée d’Aïscha et de la mienne.

Je montai ensuite un superbe cheval de main qui étoit conduit par un de mes esclaves, et je me hâtai vers les dernières limites du royaume avec tout l’empressement que pouvoit m’inspirer l’envie d’échapper à ma nouvelle conquête, car je n’en avois pas encore fait de si redoutable. Mon âme ne fut entièrement délivrée de la crainte qui l’oppressoit que lorsque j’eus franchi les frontières d’Imérette, où je laissois de si profonds souvenirs.

— Tendre Aïscha, me dis-je alors à part moi, puisse le temps, qui triomphe de tout, vous rendre la douleur de notre séparation plus légère ! Elle sera probablement éternelle ; car vous ignorez, douce princesse, qu’un sentiment invincible m’entraîne vers l’adorable Zénaïb, dont les tourments ne peuvent être apaisés que par ma possession. Consolez-vous, s’il est possible, et n’attribuez qu’à la prudence un abandon qui m’est imposé par l’amour. La faute en est au sort qui me condamne à être aimé.

Ainsi plongé dans des pensées mélancoliques sur les regrets dont j’étois l’objet, j’abandonnai nonchalamment la bride qui flottoit sur le cou de mon cheval, et je me livrai à l’instinct naturel de son espèce, qui le conduisit au premier kan de la route.

J’abuserais de l’attention que vous voulez bien m’accorder, seigneur, si j’entrois dans les mêmes détails sur toutes les aventures de mon voyage, qui fut d’une longueur infinie ; car, malgré mon impatience, j’étois obligé de ne marcher qu’à petites journées, et je ne m’arrêtai qu’à la grande capitale du royaume de la Chine, dont le nom est Xuntien, comme tout le monde le sait. La nuit étoit déjà tombée depuis quelques heures, quand je parvins à m’établir dans une auberge assez voisine du pa-