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Page:Nodier - Contes de la veillée, 1868.djvu/188

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Le premier des docteurs qui avoit à m’interroger me demanda si Sésostris étoit devenu aveugle des deux yeux à la fois, et, dans le cas où je partagerois l’opinion contraire, qui paroît la plus vraisemblable aux savants, si l’œil qu’il avoit perdu le premier étoit le droit ou le gauche.

Je lui répondis que cette question sembloit assez étrangère à l’art de guérir, mais que, si Sésostris n’étoit pas devenu aveugle à la fois des deux yeux, et que ce ne fût pas l’œil gauche qu’il eût perdu le premier, il me paroissoit probable que c’étoit le droit. Je peux dire ici, sans faire trop de violence à ma modestie, que cette solution fut accueillie par un murmure assez flatteur.

Le second docteur voulut savoir mon avis sur la couleur du scarabée sacré, qui a toujours passé pour noir, jusqu’à l’arrivée d’un voyageur venu de Nubie, d’où il a rapporté un scarabée vert. Cette difficulté ne présentant pas non plus un intérêt fort grave pour l’humanité souffrante, je me contentai de déclarer, dans la sincérité de mon cœur, que Dieu avoit fait, selon toutes les apparences, des scarabées de toutes les couleurs, et que ses moindres ouvrages étoient dignes de l’admiration des hommes.

Le troisième docteur toucha de plus près aux questions sur lesquelles mon talisman me fournissoit des solutions infaillibles. Il exigeoit que j’expliquasse à la docte assemblée les vertus secrètes par lesquelles l’abracadabra guérit de la fièvre tierce, et je répliquai cette fois, sans hésiter, que l’abracadabra ne guérissoit point de la fièvre tierce. Comme les médecins d’Égypte ne guérissent la fièvre tierce qu’au moyen de l’abracadabra, quand ils ont le bonheur de la guérir, cette dernière réponse excita l’indignation générale. Le collège me repoussa comme un imposteur téméraire et ignare qui ne savoit pas même la langue copte, et le tribunal