Page:Nodier - Contes de la veillée, 1868.djvu/187

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fit trancher la tête, et c’est un genre d’accident pour lequel mon amulette ne m’enseignoit pas le moindre remède. La science ne saurait pourvoir à tout. Par une compensation dont les médecins ont seuls quelque bonne raison de se féliciter, la contagion qui désole l’Égypte tous les ans faisoit alors d’horribles ravages. La circonstance étoit propice, et j’en usai avec empressement pour guérir tous les malades, à l’exception de ceux qui aimoient mieux mourir selon les règles, en s’en tenant aux ordonnances qui avoient tué leurs pères. Leur nombre fut considérable ; mais ma réputation prévalut, et je n’en tirai pas un grand profit. Il n’y a rien d’ingrat comme un malade guéri. Les hommes n’apprécient la santé à sa valeur que lorsqu’ils n’en jouissent plus. Il en est autrement de l’héritage des morts, dont ils ne connoissent jamais mieux le prix que lorsqu’ils vont en prendre possession. L’héritier est naturellement reconnoissant et libéral, et voilà pourquoi les riches ne guérissent presque jamais.

Cependant je n’avois pas à me justifier, dans ma pratique, d’un seul événement sinistre ou même douteux, et la médecine me porta envie. Le collège des docteurs m’assigna devant le tribunal souverain, pour y rendre compte du droit que j’avois de guérir, car il n’est pas permis, dans ce pays-là, de sauver un homme de la mort, quand on n’y est pas autorisé par un brevet qui rapporte de gros deniers au fisc. Pour être confirmé dans l’exercice de la profession dont j’avois témérairement usurpé les privilèges, il falloit prouver au moins que je m’y étois préparé par des études préliminaires d’un genre fort singulier, entre lesquelles passoit en première ligne la connoissance approfondie de la langue copte. Le tribunal souverain devant lequel m’avoit envoyé le collège des docteurs, et qui ne connoissoit pas la langue copte, me renvoya devant le collège des docteurs, qui ne la connoissoit pas non plus.