Page:Nodier - Contes de la veillée, 1868.djvu/210

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subtilité des adroits ou effrayé l’audace des téméraires. La mémoire des hommes et leurs livres sont pleins de semblables histoires.

Je ne crois pas qu’on puisse avancer qu’aucun de ces phénomènes, le somnambulisme, la somniloquie, le cauchemar, exclut les autres ; et, comme ils sont, au contraire, essentiellement congénères, il n’y aura rien de surprenant à les trouver réunis dans le même individu. Cette accumulation de facultés excentriques se sera rencontrée plus souvent dans les circonstances que j’ai supposées, c’est-à-dire dans un état de la société où l’homme ne touche aux formes générales de la civilisation que par un très-petit nombre de points, et où l’âme, qu’un commencement d’éducation lui a révélée, n’a de développement qu’en elle, et d’exercice que sur elle-même :

Le célibataire isolé du monde entier, dont toute la pensée monte, descend, et remonte sans cesse, du troupeau de ses brebis au troupeau innombrable de ses étoiles,

La vieille femme inutile et repoussée, qui ne soutient sa pauvre vie qu’à recueillir dans les bois des racines insipides pour se nourrir, et des branches sèches pour se préserver du froid de l’hiver,

La jeune fille amoureuse et souffrante, qui n’a pas trouvé une âme d’homme pour comprendre une âme de jeune fille…

Vous verrez que ceux-là sont plus sujets que les autres à ces aberrations contemplatives que le sommeil élabore, transforme en réalités hyperboliques, et au milieu desquelles il jette son patient comme un acteur à mille faces et à mille voix, pour se jouer à lui seul, et sans le savoir, un drame extraordinaire qui laisse bien loin derrière lui tous les caprices de l’imagination et du génie !

Le voilà, cet être ignorant, crédule, impressionnable,