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Page:Nodier - Contes de la veillée, 1868.djvu/211

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pensif, le voilà qui marche et qui agit, parce qu’il est somnambule ; qui parle, qui gémit, et qui pleure, et qui crie, parce qu’il est somniloque ; et qui voit des choses inconnues du reste de ses semblables, marchants et parlants, parce qu’il a le cauchemar. Le voilà qui se réveille aux fraîcheurs d’une rosée pénétrante, aux premiers rayons du soleil qui perce le brouillard, à deux lieues de l’endroit où il s’est couché pour dormir ; c’est, si vous voulez, dans une clairière de bois que pressent entre leurs rameaux trois grands arbres souvent frappés de la foudre, et qui balancent encore les ossements sonores de quelques malfaiteurs. — Au moment où il ouvre les yeux, la perception qui s’enfuit laisse retentir à son oreille quelques rires épouvantables ; un sillon de flamme ou de fumée, qui ne s’efface que peu à peu, marque à sa vue effrayée la trace du char du démon ; l’herbe foulée en rond autour de lui conserve l’empreinte de ses danses nocturnes. Où voulez-vous qu’il ait passé cette nuit de terreur, si ce n’est au sabbat ? On le surprend, la figure renversée, les dents claquetantes, les membres transis de froid et moulus de courbature ; on le traîne devant le juge, on l’interroge : il vient du sabbat ; il y a vu ses voisins, ses parents, ses amis, s’il en a ; le diable y assistoit en personne, sous la forme d’un bouc, mais d’un bouc géant aux yeux de feu, dont les cornes rayonnent d’éclairs, et qui parle une langue humaine, parce que c’est ainsi que sont faits les animaux du cauchemar. Le tribunal prononce ; la flamme consume l’infortuné qui a confessé son crime sans le comprendre, et on jette ses cendres au vent. Vous avez vu les phénomènes du sommeil vous ouvrir le ciel ; maintenant ils vous ouvrent l’enfer. Si vous convenez que l’histoire de la sorcellerie est là dedans, vous n’êtes pas loin de penser avec moi que celle des religions y est aussi.

Quel homme accoutumé aux hideuses visites du cauchemar ne comprendra pas du premier aspect, que