Page:Nodier - Contes de la veillée, 1868.djvu/232

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ans, y fonder un petit ermitage sur une des saillies du rocher qui borde le précipice. On dit que c’étoit un jeune et riche seigneur, et qu’il s’étoit rebuté de la cour par la crainte de n’y pouvoir faire son salut ; mais il ne se fit jamais connoître que par le nom d’Odilon, sous lequel notre très-saint-père l’a béatifié, en attendant qu’on le canonise.

— Diable ! dit Colas Papelin.

— Tant y a, continua Huberte, qu’on ne sauroit douter qu’il eût apporté beaucoup d’argent avec lui, car en moins de rien toute la combe changea de face. Il fit cultiver les terres propres au labour, construire des usines sur les courants d’eau, bâtir un petit hospice, un presbytère, un moutier, et ses libéralités attirèrent dans la combe des gens de tous les métiers utiles aux voyageurs, dont les familles existent encore dans une commode médiocrité, et ne cessent de glorifier le nom du bienheureux saint Odilon, qui les laissa pour héritières. C’est pourquoi cette vallée s’appelle la combe du Reclus[1], parce qu’il ne sortoit jamais de son ermitage, et qu’à l’imitation de Dieu il faisoit du bien aux hommes sans en être vu. Le Seigneur ait son âme devant sa face, ainsi qu’il est dit dans le bref.

— Cette histoire est fort édifiante, dit le docteur Pancrace, et j’y veux bien croire cette fois, quoique j’aie

  1. On appeloit au moyen âge reclus ou enclus, reclusi, inclusi, les moines qui, pour se livrer avec plus de détachement à la vie contemplative, s’enfermoient volontairement dans une cellule isolée, sans jamais en sortir. On ne pouvoit embrasser la vie de reclus qu’après avoir donné les preuves les plus incontestables de sainteté, et il falloit, pour les séculiers, l’autorisation de l’évêque, pour les moines, l’autorisation de l’abbé. La cellule des reclus étoit ordinairement murée, et on n’y réservoit qu’un guichet étroit pour passer quelques provisions. On cite, en France, plusieurs moines qui restèrent enfermés pendant quarante ou cinquante ans, entre autres saint Léonien, qui vécut ainsi à Vienne en Dauphiné, et dont l’exemple fut suivi par une soixantaine d’autres personnes, qui s’établirent autour de lui dans des cellules particulières.(Note de l’Éditeur.)