Page:Nodier - Contes de la veillée, 1868.djvu/248

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dans lequel j’ai renfermé mon auditoire, mes prétentions littéraires et ma réputation.

— Vous avez dû vous étonner, monsieur, dit le vieillard, de me voir tout à l’heure si obstiné à vous suivre ; et cette ambition, si déplacée à mon âge, peut vous avoir donné une mauvaise opinion de mon jugement ?

— Non, en vérité, répondit M. de Louvois ; j’ai seulement supposé que ma rencontre, prévue ou non, ne vous étoit pas tout à fait indifférente, et que vous aviez quelque communication à me faire.

— Il le faut, bien, si vous m’y autorisez, répliqua le vieux voyageur ; mais comment expliquer cela ? Mon seul dessein étoit d’attirer l’attention d’un jeune domestique assis devant votre voiture, et qui ne paraît pas me reconnoître. Il n’est que trop probable au reste, ajouta-t-il en étouffant un sanglot, et portant sa main sur ses yeux pour y contenir une larme, que nous nous sommes vus tous deux aujourd’hui pour la première fois. Oserois-je vous demander s’il est depuis longtemps à votre service ?

— Depuis deux ans, dit M. de Louvois, et je le connois depuis son enfance ; je l’ai reçu de sa famille.

— De sa famille, répéta le vieillard. À ce mot, il éleva les yeux au ciel, et ses larmes s’échappèrent en abondance.

— Parlez, parlez ! s’écria M. de Louvois. Je ne comprends rien encore à ce mystère ; mais j’ai besoin de vous entendre et un désir profond de vous consoler ; j’y parviendrai peut-être.

Un soupir qui exprimoit le doute, une inclination de tête qui exprimoit la reconnoissance, furent d’abord sa seule réponse. — Vous le permettez donc, reprit-il enfin, et il ne me reste qu’à vous demander grâce pour ce qui pourra dans mes paroles révolter votre esprit et votre raison. Le trouble où m’ont jeté mes impressions d’aujourd’hui ne me laisse pas la force de me décider