Page:Nodier - Contes de la veillée, 1868.djvu/247

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À l’extrémité de la longue table où il s’étoit placé on vint apporter un second couvert, et un vieillard ne tarda pas à s’y asseoir après un salut modeste : c’étoit le cavalier présomptueux qui avoit entrepris, une heure auparavant, de mettre son coursier fatigué au train d’un attelage fringant, circonstance dont l’attention de M. de Louvois avoit été frappée, comme on s’en souvient. Il jeta sur lui les yeux, et c’étoit un simple mouvement de curiosité ; il les y reporta plusieurs fois, et c’étoit l’effet d’un mouvement d’intérêt et de sympathie. Cet homme avoit une figure noble et douce ; des cheveux blancs, mais fournis, ombrageoient sa tête respectable ; son regard, que M. de Louvois rencontroit souvent, paroissoit animé d’une expression peu commune ; et les larmes involontaires qu’il rouloit quelquefois trahissoient une peine intérieure qui demandoit à se répandre. La conversation ne tarda pas de s’établir et d’en amener l’occasion. Je ne changerai rien à ce récit, pas même les noms propres, que je sais ajuster comme un autre aux convenances d’une fiction, quand j’ai besoin de les inventer. J’ai promis en commençant une histoire authentique, où l’imagination du conteur ne seroit pour rien, une histoire sans parure et sans déguisement, comme la nature et la société en donnent de temps en temps à ceux qui les cherchent, et c’est cette histoire que j’écris. Il y a peut-être quelque indiscrétion à désigner si ouvertement des personnes dont je n’ai ni reçu ni demandé l’aveu ; mais à quoi bon s’envelopper des mystères du roman dans une narration qui n’a rien d’offensant pour qui que ce soit, et qui, sous certains rapports, est honorable pour tout le monde ? Quoi qu’il en puisse être, et dans le cas même où l’on me condamneroit sur la forme, on m’absoudra sur l’intention. Je n’en demande pas davantage, car ce n’est pas ici une œuvre d’écrivain, mais une causerie de la veillée, destinée à ne pas sortir d’un petit cercle de bonnes gens