Page:Nodier - Contes de la veillée, 1868.djvu/250

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La physionomie de ma femme étoit extrêmement animée. Ses yeux brilloient d’une lumière étrange que je n’y avois pas remarquée jusque-là.

— Notre fils n’est peut-être pas mort, dit-elle en me pressant la main ; peut-être sa fosse est vide ?

Ce langage me remplit d’une nouvelle inquiétude, car je craignis que le désespoir n’eût altéré sa raison.

— Écoute, continua-t-elle du ton de voix assuré d’une personne qui veut qu’on la croie, tu connois ma dévotion à la Sainte Vierge, et combien j’ai toujours redouté de l’offenser. Eh bien ! j’ai osé compter sur sa protection dans le malheur qui nous accable, et tout m’annonce que ses divines bontés ont répondu à mon espérance. Je l’ai déjà vue deux fois.

— Grand Dieu ! m’écriai-je, qui penses-tu donc avoir vu ?

— Elle-même, reprit-elle avec calme, et c’est l’éclat dont elle est entourée qui m’avoit privée de mes sens quand tu m’as retrouvée tout à l’heure au cimetière ; mais ses paroles sont aussi présentes à mon oreille que si je les entendois à l’instant. Tu m’as priée, m’a-t-elle dit ; je viens à ceux qui me prient dans la sincérité de leur cœur. Envoie ton mari vers la montagne ; il y reverra l’enfant que vous avez perdu.

Qu’auriez-vous fait à ma place, monsieur ?

J’hésitai cependant, car la fréquentation des gens éclairés et l’habitude de la lecture m’avoient guéri des préjugés du peuple. Est-ce là un grand bonheur ? Il le faut bien, puisque les philosophes sont si impatients de le faire goûter à tout le monde. Mais l’apparition se renouvela plusieurs fois au même lieu avec les mêmes circonstances. Je connoissois dans ma femme une simplicité de cœur et une austérité de conscience qui la rendoient incapable du moindre mensonge ; aucune autre illusion n’obscurcissoit son intelligence, car, à ma grande satisfaction, son désespoir, calmé par une promesse