Page:Nodier - Contes de la veillée, 1868.djvu/252

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Les larmes de M. Despin recommencèrent à couler, et il resta plongé dans un morne silence, les bras accoudés et la tête appuyée sur ses mains.

M. de Louvois étoit profondément ému. — Croyez, dit-il au vieillard, croyez, monsieur, que je voudrois pouvoir prolonger l’erreur qui a suspendu un moment vos afflictions, s’il dépendoit de moi de l’entretenir sans manquer à la vérité. Un incroyable hasard l’a produite, et je ne sais s’il n’est pas plus propre à augmenter vos regrets qu’à les adoucir.

— Vous êtes plus capable que vous ne l’imaginez, monsieur, de donner à cette apparence une espèce de réalité, reprit M. Despin en relevant sur M. de Louvois un regard suppliant. Vous vous étonnez de mes paroles, et je le conçois, mais cette dernière espérance va s’expliquer. La famille de Paul n’est pas dans l’aisance, puisqu’il est obligé de vendre ses services à un maître. Il n’est pas mon fils, je le crois ; mais sa ressemblance avec mon fils a trompé mon désespoir, et tromperait celui de sa mère. N’est-il pas le fils qu’une céleste protection lui a rendu ? Je lui offre une mère, un père dévoués à son bonheur ; je lui offre tout mon bien dont je suis prêt à signer la donation, et M. le comte de Marcellus ne refusera pas d’attester ce que je vous en ai dit : il n’appartiendra plus qu’à lui-même, il n’aura plus de devoirs que ceux qu’impose une affection facile à contenter, et qui ne demande que de l’affection ; il etoit pauvre, il sera riche ; il servoit, il sera servi ; votre bonté pourvoyoit sans doute à son bonheur, nous y suppléerons par notre tendresse ; nous en serons aimés, j’en suis sûr, car nous l’avons aimé d’avance, nous l’avons aimé dans un autre, et on est toujours aimé quand on aime. C’étoit là, tout me l’annonce, le véritable sens d’une prédiction dont la vérité s’est manifestée hier à mes yeux. Le ciel ne fait pas inutilement de semblables miracles ; il a voulu réparer envers votre Paul un tort