Page:Nodier - Contes de la veillée, 1868.djvu/268

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que je savois déjà, par une expérience précoce, que la moindre révolution de bureau pouvoit les rendre inutiles. Au moment où les pièces qui annuloient leur jugement m’arrivèrent, bien authentiques et bien légalisées, je volai vers eux, dix fois plus heureux que je n’étois, en les quittant le jour de mon absolution. Je portois à Lidivine et à Pierre vingt-six ans de liberté.

Aussi me souvient-il de cette impression comme si je n’avois ni souffert ni vu souffrir depuis. C’étoit à quatre heures du soir, par une belle journée de printemps, comme la Franche-Comté en a quelquefois en avril ; mais l’heure n’étoit pas expirée, et les prisonniers jouissoient encore dans la cour, sous la lumière d’un plein soleil, bien tiède et bien réjouissant, de ses dernières minutes de récréation. Il y a dans les prisons un temps et un lieu qui sont assignés à la récréation, c’est moi qui vous le certifie.

— Vous êtes libres, m’écriai-je en sautant tour à tour au cou de Pierre et de Lidivine. — J’eus quelque peine à m’en faire comprendre ; mais tout le monde m’avoit compris, et l’émotion de ces pauvres gens, qui baignoient de larmes leurs joues et leurs cheveux, expliquoit assez mes paroles.

Après cela il y eut un grand silence, un silence grave et triste ; car il y a d’autres liens à rompre, dans une prison qu’on habile depuis sept ans, que ceux de la captivité. Lidivine regardoit ces femmes, ces convalescents, ces infirmes dont elle avoit été si longtemps la mère, et qu’elle s’étoit flattée de ramener peu à peu à la religion et à la vertu ; elle s’arrêta enfin devant un vieillard tout cassé, que la fatigue de l’âge ou l’excès de la joie avoit comme enchaîné à sa place :

— Eh ! Georges ! lui dit-elle, qui le portera ton bouillon ?

Ensuite elle revint à moi, et, pressant ma main dans ses deux mains :

— Je suis vraiment libre ? dit-elle.