Page:Nodier - Contes de la veillée, 1868.djvu/269

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— Oui, Lidivine.

— Je pourrais sortir avec vous maintenant, si je voulois ?

— Oui, Lidivine.

— Vous me mèneriez tout maintenant chez l’avocat de mes prisonniers ?

— Oui, Lidivine.

— Vous pourriez me montrer la maison du médecin de mes malades ?

— Oui, Lidivine ; et l’église qui va se rouvrir ; car nous vivons sous un gouvernement humain, juste, éclairé, qui sentira la nécessité d’appuyer son pouvoir sur la foi. Dieu est le meilleur des auxiliaires.

— Vous avez raison, mon ami ! Oh ! si j’étois sûre de n’être pas à charge en prison…

La femme du geôlier l’embrassa et fit un mouvement involontaire pour la retenir.

— Voilà qui est bien, continua-t-elle en souriant, pendant que du revers de la main elle essuyoit ses yeux. Je ne suis pas encore si vieille que je ne puisse honnêtement gagner mon pain chez mes maîtres. Allez vous coucher bravement, vous autres, car voilà quatre heures qui sonnent. Nous nous retrouverons demain. Je ne veux pas sortir d’ici… Où irois-je, d’ailleurs, ajouta Lidivine, pour être plus utile ou plus heureuse ? Une maison, un village, une famille, il n’y en a plus pour moi : le cimetière même ne me diroit rien ; car mon mari, mes frères et mes enfants n’y sont pas. Vous savez qu’ils sont morts bien loin de là, et qu’on les a mis je ne sais où. Quant à Pierre, c’est autre chose ; il est jeune, beau, industrieux, patient, et, par-dessus tout, craignant Dieu. Si le monde est revenu au bien, comme vous dites, mon pauvre Pierre prospérera peut-être. Viens ici, mon enfant, que je le bénisse et que je te dise adieu ! Pierre n’avoit pas encore parlé. Il paroissoit plongé dans une méditation sérieuse et embarrassé de rompre