Page:Nodier - Contes de la veillée, 1868.djvu/294

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piter. L’âge adulte est l’âge aussi de Polichinelle, et je n’entends pas tirer de là une conséquence rigoureuse qui risqueroit fort d’être une impiété. J’en conclus seulement qu’il a été donné à Polichinelle de fixer ce présent fugitif qui nous échappe toujours. Nous vieillissons incessamment, tous tant que nous sommes, autour de Polichinelle qui ne vieillit pas. Les dynasties passent ; les royaumes tombent, les pairies, plus vivaces que les royaumes, s’en vont ; les journaux, qui ont détruit tout cela, s’en iront faute d’abonnés. Que dis-je ! les nations s’effacent de la terre ; les religions descendent et disparoissent dans l’abîme du passé après les religions qui ont disparu ; l’Opéra-Comique a déjà fermé deux fois, et Polichinelle ne ferme point ! Polichinelle fustige toujours le même enfant ; Polichinelle bat toujours la même femme ; Polichinelle assommera demain soir le Barigel qu’il assommoit ce matin, ce qui ne justifie en aucune manière le soupçon de cruauté que des historiens, ignorants ou prévenus, font peser mal à propos sur Polichinelle. Ses innocentes rigueurs ne se déploient que sur des acteurs de bois, car tous les acteurs du théâtre de Polichinelle sont de bois. Il n’y a que Polichinelle qui soit vivant.

Polichinelle est invulnérable ; et l’invulnérabilité des héros de l’Arioste est moins prouvée que celle de Polichinelle. Je ne sais si son talon est resté caché dans la main de sa mère quand elle le plongea dans le Styx, mais qu’importe à Polichinelle dont on n’a jamais vu les talons ? Ce qu’il y a de certain, et ce que tout le monde peut vérifier à l’instant même sur la place du Châtelet, si ces louables études occupent encore quelques bons esprits, c’est que Polichinelle, roué de coups par les sbires, assassiné par les bravi, pendu par le bourreau et emporté par le diable, reparoît infailliblement, un quart d’heure après, dans sa cage dramatique, aussi frisque, aussi vert et aussi galant que jamais, ne rêvant qu’a-