Page:Nodier - Contes de la veillée, 1868.djvu/295

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mourettes clandestines et qu’espiègleries grivoises. Polichinelle est mort, vive Polichinelle ! C’est ce phénomène qui a donné l’idée de la légitimité. Montesquieu l’auroit dit s’il l’avoit, su. On ne peut pas tout savoir.

Je poursuis. Polichinelle éternel et invulnérable, comme on voudroit l’être quand on ne sait pas ce que vaut la vie, Polichinelle a le don des langues, qui n’a été donné que trois fois : la première fois aux apôtres, la seconde fois à la Société Asiatique, et la troisième fois à Polichinelle. Parcourez la terre habitée, si vous en avez le temps et le moyen ; allez aussi loin de Paris qu’il vous sera possible, et je vous le souhaite, en vérité, du plus profond de mon cœur. Cherchez Polichinelle, et que chercheriez-vous ? Je vous mets au défi de suspendre votre hamac dans un coin du globe où Polichinelle ne soit pas arrivé avant vous.

Polichinelle est cosmopolite. Ce que vous preniez d’àbord pour la hutte du sauvage, c’est la maison de Polichinelle sous ses portières de coutil flottant (et vous savez si elle s’annonce de loin par le cercle joyeux qui l’entoure !). Polichinelle encore endormi, sa tête sur un bras et son bras sur la barre de sa tribune en plein vent, comme l’Aurore de La Fontaine, ne se sera pas réveillé au brusque appel de son compère, ou au retentissement de l’airain monnoyé qui sonne harmonieusement sur les pavés, que vous allez le voir tressaillir, sursaillir, bondir, danser, et que vous l’entendrez s’exprimer allègrement, comme un naturel, dans l’idiome du pays. Moi, voyageur nomade à travers toutes les régions de l’ancien monde, je n’ai pas fait vingt lieues sans retrouver Polichinelle, sans le retrouver naturalisé par les mœurs et par la parole, et si je ne l’avois pas retrouvé, je serais revenu ; j’aurois dit comme les compagnons de Regnard :

Hic tandem stetimus nobis ubi defuit orbis.