Page:Nodier - Contes de la veillée, 1868.djvu/297

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le secrétaire particulier, dans le temps où les ministres répondoient encore aux lettres qui leur étoient écrites, se plaignant un jour de mes inexactitudes régulières, j’essayai de m’excuser comme un écolier, par le plaisir que j’avois pris à m’arrêter quelque temps devant la loge de Polichinelle. « À la bonne heure, me dit-il en souriant, mais comment se fait-il que je ne vous y aie pas rencontré ?… » Mot sublime qui révèle une immense portée d’études et de vues politiques. Malheureusement il ne conserva le portefeuille que cinquante-trois heures et demie, et je ne le plaignis point, parce que je connoissois la force et la stoïcité de son esprit. Polichinelle venoit de s’arrêter par hasard devant l’hôtel du ministère ; Polichinelle insouciant et libre, en sa qualité de Polichinelle, du caprice et de la mauvaise humeur des rois. Le ministre disgracié s’arrêta, par un de ces échanges de procédés qui signalent les bonnes éducations, devant la loge de Polichinelle. Polichinelle chantoit toujours ; le ministre se remit à l’écouter avec autant de joie que s’il n’avoit jamais été ministre, et vous l’y trouverez peut-être encore ; mais vous verrez, hélas ! qu’on n’ira pas le chercher là.

Les notabilités n’y manquent pas devant la loge de Polichinelle ! Tout le monde y passe à son tour ! Peu sont dignes de s’y fixer. L’oisif hébété la laisse en dédain ; le flâneur, impatient de nouvelles émotions, la salue tout au plus d’un regard de connoissance ; le pédant, pétrifié dans sa sotte science, la cligne en rougissant d’un coup d’œil honteux. Vous n’y craindrez pas le contact effronté de la grossière populace aux goûts blasés et abrutis, écume de l’émeute et de l’orgie, qui se roule, sale cohue, autour des monstres du carrefour, des disputes gymniques des cabarets et des échafauds du Palais ; elle a vu des enfants sans têtes et des enfants à deux têtes ; elle a vu des têtes coupées : elle ne se soucie plus de Polichinelle.