Page:Nodier - Contes de la veillée, 1868.djvu/298

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La clientèle ordinaire de Polichinelle est beaucoup mieux composée. C’est l’étudiant, fraîchement émoulu de sa province, qui rêve encore les douceurs de sa famille et les adieux de sa mère. Hâtez-vous de goûter sur son visage frais et riant l’expansion de son dernier bonheur ; demain il sera classique, romantique ou saint-simonien : il sera perdu ! — C’est le jeune député, patriote de conviction, honnête homme d’instinct, qui brave l’appel nominal pour venir méditer un moment avec Polichinelle sur les institutions rationnelles de la société. Loué soit Dieu qui l’a mis dans la bonne voie ! La tribune de Polichinelle lui apprendra plus de vérités en un quart d’heure que l’autre ne peut lui en désapprendre dans une session. — C’est le pair déshérité qui descend de son cabriolet, devenu plus modeste, pour se former au mépris des grandeurs humaines par l’exemple de Polichinelle. Homme heureux entre tous les hommes ! il a perdu la pairie, mais il a gagné la sagesse. — C’est l’érudit cassé de travail que Polichinelle délasse et reverdit, ou le philosophe épuisé de spéculations inutiles qui vient, en désespoir de cause, humilier ses doctrines trompées aux pieds invisibles de Polichinelle. — Et c’est encore mieux que tout cela !

Voilà, voilà Polichinelle, le grand, le vrai, l’unique Polichinelle ! Il ne paraît pas encore, et vous le voyez déjà ! Vous le reconnoissez à son rire fantastique, inextinguible comme celui des dieux. Il ne paroît pas encore ; mais il susurre, il siffle, il bourdonne, il babille, il crie, il parle de cette voix qui n’est pas une voix d’homme, de cet accent qui n’est pas pris dans les organes de l’homme, et qui annonce quelque chose de supérieur à l’homme, Polichinelle, par exemple. Il s’élance en riant : il tombe, il se relève, il se promène, il gambade, il saute, il se débat, il gesticule, et retombe démantibulé contre un châssis qui résonne de sa chute. Ce n’est rien ; c’est tout, c’est Polichinelle ! Les sourds l’entendent et rient ;