Page:Nodier - Contes de la veillée, 1868.djvu/299

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les aveugles rient et le voient ; et toutes les pensées de la multitude enivrée se confondent en un cri : C’est lui ! c’est lui ! c’est Polichinelle !

Alors… Oh ! c’est un spectacle enchanteur que celui-ci !… Alors les petits enfants, qui se tenoient immobiles d’un curieux effroi entre les bras de leurs bonnes, la vue fixée avec inquiétude sur le théâtre vide, s’émeuvent et s’agitent tout à coup, agrandissent encore leurs beaux yeux ronds pour mieux voir, s’approchent, se disputent la première place. — Ils s’en disputeront bien d’autres quand ils seront grands ! — Le flot de l’avant-scène roule à sa surface de petits bonnets, de petits chapeaux, de petits schakos, des toques, des casquettes, des bourrelets, de jolis bras blancs qui se contrarient, de jolies mains blanches qui se repoussent, et tout cela, vous savez pourquoi ? pour saisir, pour avoir Polichinelle vivant ! Je le comprends à merveille ; mais moi, pauvres enfants, moi qui ai grisonné là, derrière vos pères, il y a quarante ans que je l’attends !…

Au second rang cependant se pressent les bonnes et les nourrices, épanouies, vermeilles, joyeuses comme d’autres enfants, sous le bonnet pointu et sous le bonnet rond, sous la cornette aux bandes flottantes et sous le madras en turban ; les bonnes de la haute société surtout, aux manières de femmes de chambre, au cou penché, à l’épaule dédaigneuse, au geste rond, au regard oblique et acéré que darde, entre de longs cils, une prunelle violette, et qui promet tout ce qu’il refuse. Je ne sais pas si cela est changé, mais je me souviens qu’elles étoient charmantes.

C’est ici que devroit commencer logiquement l’histoire de Polichinelle ; mais ces prémisses philosophiques m’ont entraîné à des considérations si profondes sur les besoins moraux de notre malheureuse société, que l’attendrissement m’a gagné au premier chapitre de l’histoire de Polichinelle. L’histoire de Polichinelle, c’est,