Page:Nodier - Contes de la veillée, 1868.djvu/306

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cette répugnance te vient du défaut d’habitude, ou si elle est systématique.

Puis il se retourna du côté du garçon qui nous servoit, et lui demanda, sans m’interroger davantage, la moitié d’une poularde au cresson.

— C’est ce que j’ignore entièrement, repartis-je, car je n’y ai jamais réfléchi. Ce n’est peut-être qu’un caprice.

— Voilà ce qui te trompe, dit-il. Le caprice est une explication bonne pour les esprits paresseux qui ne prennent pas la peine de chercher en eux-mêmes une explication plus rationnelle de leurs choix et de leurs résolutions. L’arbitre de l’homme ne s’arrête jamais à un dessein sans y être porté par quelque mouvement qui lui est propre et qui résulte, ou de son instinct naturel, ou de l’instinct auxiliaire que lui a fait son éducation, ou de l’empire d’un raisonnement occulte qui s’est développé en lui à son insu, mais dont il retrouveroit, en s’étudiant soigneusement, les principes et les corollaires.

— Cela est probable, répondis-je tout haut ; — mais, ajoutai-je en moi-même, voilà bien de la philosophie à propos de l’usage de manger du pigeon !

— Cela est si probable que cela est sûr. Le pigeon, l’hirondelle et le moineau sont les hôtes volontaires de la maison de l’homme. On croiroit que la nature les a produits tout exprès pour entretenir dans sa pensée le souvenir de son premier état, et pour ne pas lui laisser perdre de vue ses anciens rapports avec le reste du monde créé. Ils ne sont pas ses vassaux par droit, de conquête ; seulement ils aiment à vivre dans les bâtiments qu’il a édifiés, et y accourent à l’envi comme s’ils étoient faits pour eux. Ils l’enchantent des grâces variées de leur vol, de leurs chants et de leurs couleurs, car le pigeon plane avec élégance et avec noblesse, il roucoule tendrement, il déploie au soleil les richesses de sa robe nuée de mille reflets, il reproduit tous les jours sous nos yeux ces