Page:Nodier - Contes de la veillée, 1868.djvu/33

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mains, en prêtant une attention muette et terrible au signal de la mort de son Hélène bien-aimée, et le signal se renouvela en se rapprochant du couvent. Peu à peu d’autres bruits s’y mêlèrent, celui du pas monotone des chevaux, qui faisoit retentir les pavés, et que couvroient de moment en moment, comme une bouffée d’orage, les rumeurs de la multitude. — La voilà ! la voilà ! crioient mille voix qui ne formoient qu’une voix, et madame Gillet retomba sans connoissance, parce qu’elle comprit que sa fille passoit. — Écoutez, écoutez, ma sœur, disoit la mère Jeanne de Saint-Joseph en se tordant les bras de désespoir, auprès du grabat de sœur Françoise du Saint-Esprit ; oh ! mon Dieu, ma sœur, n’entendez-vous pas ?

— J’entends comme vous, répondoit sœur Françoise en ramenant sur elle son doux sourire d’enfant ; j’entends la trompette qui sonne et les chevaux qui marchent avec leurs cavaliers ; j’entends le peuple qui parle, les pénitents qui chantent. — Oui, continua-t-elle, j’entends très-bien. Je sais que cette pauvre innocente s’avance, et qu’elle est là maintenant ; je sais qu’on la mène à la mort ; mais je vous dis en vérité qu’elle ne mourra pas. Vous pouvez le promettre à sa mère.

Hélène marchoit en effet à la mort, assistée de deux jésuites et de deux capucins, qui lui présentoient tour à tour une image du Christ qu’elle baisoit avec candeur. Jamais on ne l’avoit vue aussi belle. Sa robe étoit blanche, en signe de la virginité de son âme. Ses beaux et longs cheveux noirs n’avoient pas été coupés, soit que l’exécuteur n’eût pas osé y porter les ciseaux, soit que le cérémonial des exécutions d’apparat épargnât cet outrage aux patients qualifiés ; ils étoient retenus sur le sommet de la tête par un nœud de ruban ; mais l’agitation de la marche avoit relâché leur lien, et une partie en étoit retombée en ondes épaisses sur l’épaule gauche d’Hélène, où ils recouvroient la corde ignominieuse