Page:Nodier - Contes de la veillée, 1868.djvu/331

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

des), sans rencontrer sa pareille ; et avec cela, élevée comme un charme et sage comme une image ; mais n’allez pas vous y laisser prendre, pour rentrer ici au désespoir, comme vous faisiez du temps de l’autre. Tout gentil que vous êtes, vous pourriez en être cette fois pour vos peines et pour vos soupirs, car voilà déjà bien des mois qu’il est bruit qu’on la marie.

— Diable, diable ! madame Gauthier, vous me prenez toujours pour un jeune homme, quoique j’aie vingt-quatre ans passés, une fortune établie et une position sérieuse. Croyez-vous qu’un avocat stagiaire au barreau de Lons-le-Saulnier se passionne comme un légiste ou comme un clerc d’avoué ?… Rassurez-vous, ma chère dame, et montrez-moi seulement le chemin qu’il faut que je tienne pour parvenir chez M. Dubourg, car j’ignorois même que sa maison de campagne fût si près d’ici.

— Vous ne serez pas embarrassé dans toute la première moitié de la route, répliqua-t-elle. Vous ne perdrez pas un moment le petit sentier bien frayé que vous voyez courir là dans les prés, le long de ce ruisseau bordé de saules ; mais une fois arrivé au pied du coteau qui ferme le Val, ce sera une autre affaire ; vous serez aux bois de Châtillon, qu’il faut traverser pour apercevoir le château, et comme ils ne sont pratiqués que par les bûcherons, qui y ont tracé dans leurs allées et venues bien des chemins qui se croisent, je me suis laissé dire que les gens du pays s’y égaroient quelquefois ; mais il ne manque pas de huttes et de baraques à la rive du bois, et vous n’aurez qu’à hucher pour vous procurer un guide.

Fort pénétré de ces utiles renseignements, je saluai mon hôtesse de la main ; je me mis en route, et je gagnai du pays en faisant des tirades pour le premier acte de ma tragédie, avec la délicieuse et immense préoccupation d’un homme qui se complaît dans ses vers. Aussi