Page:Nodier - Contes de la veillée, 1868.djvu/332

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j’étois fort loin, au bout d’une heure, du petit sentier bien frayé qui court dans les prés le long d’un ruisseau bordé de saules, et je fus fort heureux, pour retrouver ma direction, que la colline ne se fût pas avisée de la fantaisie, à la vérité assez étrange, de se déranger de sa place.

Après avoir longtemps côtoyé la rive du bois, comme disoit madame Gauthier, en suivant inutilement un fourré si épais, que j’aurois à peine compris qu’il pût ouvrir passage à un lièvre poursuivi par les chiens, je fus frappé de la vue d’une petite maison toute blanche, c’est-à-dire assez fraîchement crépie, qui s’adossoit au bois comme un oratoire couronné de feuillages, et autour de laquelle se fermoit en carré une palissade à treillage fort serré d’où se répandoient de toutes parts des pampres de vignes, de flottantes guirlandes de liseron et de houblon, et des rameaux d’églantier chargés de fleurs. Je fis quelques pas et j’arrivai à l’entrée de ce joli réduit, qui ne paroissoit guère propre qu’à loger deux ou trois personnes. Sur un bout de banc joint à la porte du logis, et qui étoit élevé comme elle d’une marche ou deux au-dessus d’un potager de quelques pieds de surface, il y avoit un jeune homme assis. Je pris le temps de le regarder, parce que lui ne me regardoit pas. Il étoit vraisemblablement trop occupé pour s’apercevoir de ma présence.

Je ne dirois pas facilement ce qui, dans ce jeune homme, excita soudainement ma curiosité, mon intérêt, mon affection. Je ne suis pas romanesque, on le sait bien ; mais le lieu, la circonstance, la personne surtout, faisoient naître en moi une foule d’idées mélancoliquement poétiques, dont j’étois presque fâché de faire tort à ma composition. Je finis cependant par y prendre un plaisir très-vif et par le goûter en silence.

Ce jeune homme, si absorbé dans ses pensées, qu’un peu de bruit que j’avois fait étourdiment en m’appro-