Page:Nodier - Contes de la veillée, 1868.djvu/338

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fermée en demi-cercle par le cours de l’Ain. Vous savez que les premières clôtures de mon parc ne se montrent qu’après qu’on a quelque temps suivi ce détour. — Quant à son obéissance, je vous le répète, ne vous en inquiétez pas ! Il mourroit plutôt que de manquer à sa parole !… »

« J’avois écouté M. Dubourg tout interdite, parce que mon esprit ne s’étoit jamais occupé du danger qui l’effrayoit, et cependant ce qu’il disoit me paroissoit si raisonnable, que je me bornai, pour lui répondre, à des expressions de remerciement et de déférence.

« Je comprends, continua-t-il en se levant, que vos charges vont augmenter à mesure que les miennes diminueront, mais cela ne durera pas longtemps, car Baptiste est connu de mes amis sous les rapports les plus avantageux, et j’attends tous les jours la nouvelle qu’il est convenablement placé. En attendant, recevez de mon amitié ces cent louis d’or pour vous procurer à tous deux, dans votre petite solitude, quelques douceurs auxquelles il est accoutumé, et comptez toujours sur moi. »

En parlant ainsi, M. Dubourg laissa la bourse et partit, sans vouloir, malgré mes instances, se déterminer à la reprendre.

C’étoit l’époque où Baptiste venoit chaque année passer quelques semaines avec moi ; il apportoit alors ses livres, ses herbiers, ses ustensiles de science. J’étois bien heureuse ! Il ne trouva donc pas étonnant son déplacement d’habitude ; j’aime à croire qu’il l’auroit même désiré cette fois-là comme à l’ordinaire. Jamais il n’avoit été plus beau, plus animé, plus satisfait de vivre, quoique naturellement porté à la tristesse depuis son enfance ; et cela fut bien pendant quelques jours. Seulement je m’affligeois qu’il travaillât tant, de crainte, comme il n’étoit que trop vrai, que sa santé ne pût pas tenir à une si continuelle occupation. « Tu as bien le temps, lui dis-je un soir, de feuilleter et de refeuilleter tes auteurs ! Nous ne nous quitterons plus que lorsque tu