Page:Nodier - Contes de la veillée, 1868.djvu/339

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auras une place, et on n’en trouve pas à volonté dans un pays où il y a tant de savants, surtout depuis la révolution. » Là-dessus je lui racontai ce que m’avoit dit M. Dubourg.

Quand j’eus fini, Baptiste sourit, ne répliqua pas, fit la prière, m’embrassa, et alla se coucher fort tranquille.

Le lendemain et les jours suivants, il me parut abattu. Il ne parla pas. Je ne m’en étonnai point ; je l’avois vu souvent de cette manière.

Au bout d’une semaine cependant (il y a quatre ans de cela), je crus m’apercevoir que son esprit se troubloit. Mère infortunée ! c’étoit ce que j’avois prévu quand il s’opiniâtroit malgré moi dans ses études. Il renonça dès ce moment à ses livres, mais il étoit trop tard. Il disoit des paroles qui n’avoient point de sens, ou qui signifioient des choses que je ne comprenois plus. Il rioit, il pleuroit sans motif ; il n’étoit bien que seul ; il s’adressoit aux arbres, aux oiseaux, comme s’il en avoit été entendu ; et ce qu’il y a d’extraordinaire, mais que je n’oserois vous raconter si vous ne veniez d’en voir la preuve, c’est qu’on croiroit que les oiseaux le comprennent, à la facilité avec laquelle ils s’en laissent prendre. Ne seroit-il pas possible, monsieur, que le bon Dieu, qui a donné un instinct à ces petits animaux pour éviter leurs ennemis, leur eût permis aussi de reconnoître l’innocent qui est incapable de leur vouloir du mal, et qui ne les aime que pour les aimer ?…

Ce récit m’avoit grandement ému, et je crois qu’il auroit produit le même effet sur vous, si je m’étois trouvé assez de puissance pour vous le rendre, ainsi que je l’ai entendu, dans son éloquente simplicité. Je passai ma main sur mon front comme pour en écarter les soucis qu’il y avoit fait descendre, et puis j’en couvris mes yeux pour me dispenser d’une explication douloureuse et d’un entretien inutile.

— J’ai abusé trop longtemps de votre patience, reprit