Page:Nodier - Contes de la veillée, 1868.djvu/343

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vous êtes, et plus mauvaises que des femmes, si le hibou ne vous a mangées ! Venez, petites, venez, mes belles ! j’ai des maris à vous donner, deux serins verts d’une couvée !… — Tenez, continua-t-il, en jetant sur le gazon sa toque polonoise, qui laissa ses grands cheveux blonds se répandre sur ses épaules ; dormez là dedans, mes filles, sans rien craindre des hommes, des oiseleurs et des serpents, car je veille sur vous comme une mère sur ses petits.

Pendant qu’il parloit ainsi, je m’étois un peu plus avancé. Je plongeois mes yeux dans cette belle eau si claire et si limpide qui baigne, mon cher Jura, le pied des nobles montagnes qui font ta gloire, et où il n’y a de trop que des villes et des habitants ! L’Ain est un autre ciel dont l’azur n’a rien à envier à celui où nagent les soleils, et le Timave peut-être est le seul digne de lui être comparé sur la terre.

Le langage de Baptiste me tira de ma contemplation. Je m’approchai de sa toque à pas timides et suspendus, mais en souriant intérieurement de ma crédulité. — Les petites serines y étoient cependant. Elles s’accroupirent en se pressant l’une contre l’autre, hérissèrent et dressèrent leurs plumes pour s’en mieux couvrir, comme la phalange en tortue qui se cache sous ses boucliers, et laissèrent à peine briller au dehors un œil inquiet qu’elles auraient bien voulu rendre menaçant. Je n’ai pas besoin de vous dire que je me retirai soudainement pour ne pas les effrayer davantage.

— Quoique votre chasse, dis-je à Baptiste, me paroisse heureuse et complète, il est probable que vous ne retournerez pas ce matin à la Maison-Blanche des Bois. Votre mère vous a recommandé de l’exercice, et j’espère encore vous trouver en revenant. En tout cas, j’ai assez bien remarqué mon chemin pour ne pas m’y tromper, et je serois fâché de vous retenir ici contre votre gré. Mais, si je ne dois pas vous revoir, Bap-