Page:Nodier - Contes de la veillée, 1868.djvu/344

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tiste, j’aurais du regret de vous avoir quitté sans vous laisser quelque souvenir de mon amitié. Gardez en mémoire de moi cette montre d’argent, si vous n’aimez mieux une double pièce d’or pour acheter quelque chose qui vous convienne davantage. — Et ne me refusez pas !

— Une montre ! dit l’innocent en me prenant la main… Croyez-vous donc que le soleil s’éteigne aujourd’hui ? — De l’or ? ma mère en a encore pour nos pauvres. Que saurois-je en faire au milieu de mes oiseaux ?

— Vous n’avez donc rien à désirer, Baptiste ?

— Rien, car ma mère ne m’a rien refusé… si ce n’est un méchant couteau !…

Cette idée me glaça le sang. Je me rappelai ce que m’avoit dit sa mère.

— Dieu me garde, Baptiste, de vous donner un couteau. Ma bonne nourrice, qui vit encore, m’a répété cent fois que ce triste cadeau coupoit les attachements. — Et d’ailleurs, les gens tels que vous et moi, mon ami, ne portent pas de couteau… Je ne me suis jamais muni de cette arme de l’homme carnassier, du boucher et de l’assassin.

Baptiste se rassit à côté de sa toque polonoise, et se remit à parler à ses serines.

Je l’observois un moment avant de poursuivre ma route, quand je m’entendis nommer par un groupe de cavaliers qui la suivoient dans la direction même que j’allois prendre.

— Maxime ici ! dirent-ils, Maxime au bord des eaux bleues de l’Ain ! Que le ciel en soit loué ! Mais arrive donc ! les amis de Dubourg ne doivent pas manquer à la bénédiction nuptiale de sa belle Rosalie, et il est déjà plus de midi !…

— Malheureux ! pensai-je, et d’abord je ne répondis pas. Baptiste m’occupoit trop. Il avoit en effet tourné