Page:Nodier - Contes de la veillée, 1868.djvu/35

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lène. Cette pensée devoit la préoccuper profondément, car elle s’élança dans l’enceinte en brandissant ses ciseaux, et sans les perdre de vue ; mais, quand elle fut arrivée auprès d’Hélène, elle les oublia.

Un mouvement et un signe que fit Simon Grandjean, sur le devant de l’estrade, avertirent les spectateurs qu’il avoit à parler ; événement tout à fait nouveau dans l’histoire des exécutions judiciaires ; et le bruit qui grondoit dans la multitude s’apaisa tout à coup, comme celui de la tempête à la surface d’une mer surprise par la bonace. Il est vrai que tout donnoit à cette scène un intérêt horrible que je n’essaierai pas de relever par des hyperboles empruntées à nos froids langages ; et le formidable acteur que je viens d’y faire apparoître pouvoit lui-même, en ce moment, réclamer quelque part à la pitié publique. Affoibli par le jeûne, et macéré des mortifications qu’il s’étoit prescrites pour se rendre capable de remplir son terrible ministère, il se soutenoit à peine, en s’appuyant sur la pointe de son coutelas, et ses traits renversés annonçoient qu’il se livroit en lui une lutte affreuse entre le devoir et la compassion. — Grâce ! grâce pour moi, s’écria-t-il ! Bénédiction, mes pères !… Pardonnez-moi, messieurs de Dijon ; car voilà trois mois que je suis grandement malade et affligé dans mon corps ! Je n’ai jamais coupé de têtes, et notre Seigneur Dieu m’a refusé la force de tuer cette jeune fille !… Sur ma foi de chrétien, je sais que je ne peux pas la tuer !

La foudre est moins prompte que ne le fut la réponse des assistants : — Tue ! tue, dit le peuple. — Faites votre office, dit le procureur du roi. — Et ces mots signifioient : Tue ! comme l’autre.

Alors Simon Grandjean releva son coutelas, s’approcha d’Hélène en chancelant, et tomba à ses pieds. — Noble demoiselle, reprit-il en lui tendant le fer par la poignée, tuez-moi ou pardonnez-moi !… — Je vous pardonne et je vous bénis, répondit Hélène. — Et elle