Page:Nodier - Contes de la veillée, 1868.djvu/350

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Ses paupières s’abaissèrent avec un calme mélancolique ; elles étoient enflées et tendues. Les cils réunis par faisceaux brilloient encore de l’humidité des pleurs.

— Tu aimes, ajoutai-je à demi-voix. Sa poitrine se gonfloit.

Elle glissa ses doigts dans une boucle de ses cheveux noirs, et la ramena sur son visage.

Je l’enveloppois d’un de mes bras. Je la raporochois de mon sein avec un chaste intérêt. Mon haleine effleuroit ses lèvres.

Elle parla ; je l’entendis à peine. — Ce n’est pas lui, disoit-elle.

— Non, ce n’est pas lui, répondis-je ; mais ne doit-il pas venir ?

Et Suzanne balança sa main autour de sa tête.

— Peut-être le verras-tu demain. Elle ne répondit pas.

Je craignis d’aigrir sa peine, et je gardai le silence. Elle me regarda encore, et moi je pleurois.

Il y avoit une larme sur ma joue ; elle l’essuya du dos de sa main.

Une autre étoit tombée sur sa main, elle la recueillit avec sa bouche.

— Tu es bien heureux, me dit-elle ; je crois que tu as pleuré.

Et puis, en m’observant davantage, elle ajouta : — Je t’aimerai, car tu as une âme d’ange. Dis-moi cependant si tu es noble ?

J’hésitois à l’avouer. Cela coûte à dire devant la vertu couchée sur le grabat de la misère.

— Oh ! reprit-elle, noble et homme ; il y a une méprise. Mais tu es trop jeune encore… Je suis contente de te voir rougir.

— Explique-moi… Je ne prononçai point ces paroles : qu’avois-je besoin d’un éclaircissement douloureux pour lui donner ma pitié ? Nous nous entendions bien comme cela.