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Page:Nodier - Contes de la veillée, 1868.djvu/351

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Un peu plus tard, je revis sa mère, et elle attendoit les mots qui alloient m’échapper comme un oracle sauveur. — A-t-elle aimé ? lui demandai-je.

— Hélas ! jamais. De riches partis se sont offerts ; et malgré notre indigence, on a sollicité avec ardeur l’amour de ma Suzanne. Elle a été indifférente pour tous. Elle auroit voulu qu’il y eût des cloîtres pour y ensevelir sa jeunesse, parce que le monde lui étoit importun, et qu’elle trouvoit la vie longue et difficile. Je crois que nul homme n’a obtenu un seul baiser de Suzanne, si ce n’est cependant son parrain. Il a douze ans de plus qu’elle, et c’est le fils de l’ancien seigneur du village. Tandis qu’il étoit absent pour le service du roi, elle disoit : Je sais que mon parrain reviendra, parce que Dieu me l’a promis ; et quand il reviendra, mon Frédéric, je lui donnerai un agneau tout blanc avec des rubans bleus et roses, et des tresses de fleurs suivant la saison. Elle alla en effet à sa rencontre, et quand il la vit, il descendit de cheval pour la baiser sur le front. Voyez, dit-il, comme Suzanne est jolie ! Je ne veux pas qu’elle conduise des troupeaux le long des haies et qu’elle hâle son teint aux ardeurs du soleil, car je l’aimois comme ma sœur.

Le lendemain, je revins dès le point du jour. Je la trouvai plus mal.

— Écoute, me dit-elle en m’embrassant, tu dois être bon comme tu es beau, et je vais te demander quelque chose de meilleur que la vie. Engage ma mère à me donner ma robe blanche, ma cornette de mousseline et ma jeannette de cristal. Cueille-moi un barbeau dans le jardin et une iris près du ruisseau. C’est aujourd’hui l’anniversaire de ma naissance.

Je fis ce qu’elle m’avoit demandé, et sa mère l’habilla. Mais en descendant de son lit, elle tomba en foiblesse.

La cloche sonnoit tout vis-à-vis, car c’étoit en face de l’église. Sa mère lui dit : Vois-tu bien, c’est le mariage