Page:Nodier - Contes de la veillée, 1868.djvu/42

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toire littéraire, la Bibliothèque historique du père Lelong[1], Charles Fevret passoit pour un grand orateur dans son temps, et cette réputation n’est pas usurpée, si l’éloquence se mesure au nombre harmonieux de la phrase et à la pompe majestueuse de la parole. C’est cette dictio togata du sénat et du Capitole qui a je ne sais quoi de patricien et de consulaire, et qui s’élève au-dessus du commun langage par des tours magnifiques et des mots solennels, comme les magistrats des nations se distinguent du vulgaire par l’hermine et la pourpre. On croiroit entendre dans sa prose le retentissement des vers de Malherbe, et on y pressent la manière de Balzac, dans la profusion des images et dans le luxe des allusions. C’est ainsi qu’il peint la pauvre Hélène, humblement prosternée devant le parlement, et baisant le tranchant de l’épée de la justice qui guérit les plaies qu’elle a faites comme la lance d’Achille. Voici un mouvement qui est très-beau : « Quel prodige en nos jours qu’une fille de cet aage ait colletté la mort corps à corps, qu’elle ait lutté avec cette puissante géante dans le parc de ses plus sanglantes exécutions, dans le champ mesme de son Morimont ! et pour tout dire en peu de mots, qu’armée de la seule confiance qu’elle avoit en Dieu, elle ait surmonté l’ignominie, la peur, l’exécuteur, le glaive, la corde, le ciseau, l’estouffement et la mort ! Après ce funeste trophée, que luy reste-t-il, sinon d’entonner glorieusement ce cantique qu’elle prendra doresnavant à sa part : Exaltetur Dominus Deus meus, quoniam superexaltavit misericordia judicium. — Que peut-elle faire, sinon d’appendre, pour esternel mémorial de son salut, le tableau votif de ses misères, dans le sanctuaire de ce temple de la justice ? — Quel dessein peut-elle choisir de plus convenable à sa condition que d’ériger un autel dans

  1. Paris, 1768-1778, 5 vol. in-folio.