Page:Nodier - Contes de la veillée, 1868.djvu/47

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sion aux autres, il faut être capable de se faire illusion à soi-même, et c’est un privilége qui n’est donné qu’au fanatisme et au génie, aux fous et aux poëtes.

Avec l’art que cette combinaison exigeoit, il n’y avoit rien de plus aisé, je le répète, que de faire accepter à la génération qui avoit vu Cazotte de merveilleuses prédictions de Cazotte, car ce digne homme étoit presque toujours sur le trépied, et la plupart des choses qu’il annonçoit se réalisoient dans leur temps de la manière la plus naturelle. Il n’y a aucun effort à faire pour comprendre ce résultat, tout extraordinaire qu’il paroisse au premier abord. La faculté de prévoir l’avenir, dans un certain ordre d’événements, est fort indépendante, en effet, de révélations, de visions et de magie. Elle appartient à quiconque est doué d’une profonde sensibilité, d’un jugement droit, et d’une longue aptitude à l’observation. La raison de ce phénomène saute aux yeux. C’est que l’avenir est un passé qui recommence. Tout le monde sait prédire le jour et le printemps, parce que tout le monde a vu succéder le printemps à l’hiver et le jour à la nuit. Il en est de même de tous les conséquents qui ont des antécédents semblables. L’histoire future n’est pas moins lucide aux yeux du philosophe, à quelques dates et à quelques noms près, que les histoires anciennes les plus avérées. Nostradamus qui n’avoit, le pauvre homme, qu’une science d’almanach fort superficielle et fort confuse, a quelquefois rencontré juste. Avec la science des affaires et la connoissance des hommes, il se seroit rarement trompé ! C’est, comme on sait, ce qui ne manquoit point à Cazotte, et il n’étoit pas difficile de prévoir, de son temps, qu’une révolution de la nature de la nôtre passeroit par toutes les périodes qui sont propres aux révolutions. Les révolutions n’avortent point ; elles ne meurent que de vieillesse. Il n’y a personne au monde qui n’ait eu occasion de l’apprendre de l’expérience ou de l’histoire, à l’exception des gens qui commencent les révolutions, et qui s’efforcent follement, après, de les contenir dans de certaines bornes. Quelle pitié !

La particularité, beaucoup plus extraordinaire, qui fait le fonds de ce petit roman, n’est pas, comme on pourroit le croire, un simple jeu de l’imagination. Je me souviens très-distinctement d’avoir entendu raconter le fait principal par Cazotte, quand j’étois à cet âge de l’enfance qui est déjà celui des vives perceptions et des imperturbables souvenirs, et je pense