Page:Nodier - Contes de la veillée, 1868.djvu/48

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même que c’est la partie de ce récit où il est question de l’étrange longévité de Marion Delorme, désignée dans le Fragment sous le nom de Mme  Lebrun, qui donna lieu à M. Delaborde, fort intimement lié avec Cazotte, d’écrire la singulière lettre de Marion Delorme au rédacteur du Journal de Paris, qu’on lit à la suite de son Recueil de pièces intéressantes sur le procès de Chalais, Londres, 1781, in-12 ; lettre curieuse et piquante qui fit grande sensation alors, quoique son tour frivole et badin fût des plus mal appropriés à une question de biographie si importante, mais c’était le caractère convenu des productions du temps. L’air de scepticisme et d’ironie que l’auteur lui avoit donné n’empêcha pas les savants de profession de s’en occuper avec intérêt, et mon ami M. Beuchot n’a pas dédaigné de tenir compte de cette singulière hypothèse dans la Biographie universelle, en sauvant à demi l’aventureuse témérité de l’anecdote suivante sous quelques réticences qui prouvent qu’il n’étoit pas entièrement convaincu. J’ai poussé mes recherches plus loin, et avec plus de confiance, parce que je m’appuyois sur la tradition orale d’un témoin très-digne de foi, et je crois sincèrement ce que j’en dis, ce qui est de toute rareté dans les histoires fantastiques, et ce qui n’est pas commun dans les autres. L’identité d’Anne-Oudette Grappin, veuve Lebrun, et de Marion Delorme, s’est évidemment manifestée pour moi au premier coup d’œil que j’ai jeté sur l’acte de mariage de sa mère, qui s’appeloit Marie Delorme, ainsi qu’on peut le vérifier dans un pays où les noms de Delorme et de Grappin étaient encore communs il y a vingt ans. Quant au village natal de Marion, mon bon frère d’études et de cœur, M. Weiss, qui a cousu un petit nombre de notes à cette page biographique, n’auroit pas été embarrassé de le reconnoître, si le docte bibliothécaire de Besançon avoit eu, comme moi, sous la main, l’extrait mortuaire de la veuve Lebrun, où il auroit lu Baverans au lieu de Balheram. Je n’ai pas besoin de dire que la légère méprise de l’auteur de la Lettre s’explique fort bien par l’orthographe surannée du teneur de registres, qui exprimoit le v consonne par un u voyelle, suivant une vieille habitude que les grammairiens ont depuis longtemps réformée dans la typographie, mais qui, presque jusqu’à nos jours, s’est abusivement perpétuée dans l’écriture. Quant à l’s finale qui suit une n, on sait qu’elle se confond aisément en lettres cursives, sous la plume la plus