Page:Nodier - Contes de la veillée, 1868.djvu/60

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donc plus les amours d’Astrée sur les rives du Lignon ! Hélas ! c’est le train du monde qui vieillit ! après les romans de l’innocence, les tragédies de l’histoire ! Parlons donc de tragédies, continua-t-il en serrant la main de Legouvé. Tu en verras bien d’autres ! »

Et il commença :



II

RÉCIT DE M. CAZOTTE.


J’étois parvenu à l’âge de vingt ans sans sortir de Dijon où je suis né. En 1740, ma famille m’envoya à Paris où elle comptoit pour moi sur la protection de quelques grands seigneurs de notre duché de Bourgogne qui étoient venus se déprovincialiser en cour. J’en fus accueilli avec cette politesse élégante que les bonnes gens prennent pour de l’obligeance et de l’affection, et puis on me laissa là. Il fallut renoncer à quelques prétentions qui n’avoient jamais eu beaucoup d’empire sur mon esprit, et je m’y résolus sans efforts, parce que le monde que j’avois à peine entrevu commençoit à me lasser.

Quoique jeune et passablement dissipé dans l’occasion, j’aimois au fond la solitude, le recueillement, les méditations vagues et rêveuses, et tout cela est incompatible avec le mouvement des affaires et des plaisirs où je m’étois jeté d’abord. Je résolus de m’isoler tout à fait et de presque tous, même par les formes les plus communes de la vie extérieure. Me voilà donc en habit long soigneusement boutonné jusqu’au menton, en chapeau rond et plat aux larges ailes rabattues, en guêtres de cuir écru fermées à longues lanières par des boucles d’a-