Heureusement pour le public qui ne pouvoit l’entendre, Nodier, pour se délasser de vivre, amusoit son imagination en écrivant des contes. Il ne songeoit pas, lui si modeste et si peu inquiet de ses œuvres, à les présenter au public dans la toilette d’un volume d’apparat, et il semble qu’il n’appartenoit pas à cette époque où, comme il l’a dit lui-même, les hommes de génie étoient fort occupés de leur gloire et les hommes d’esprit de leur fortune. Il éparpilloit ses récits dans les revues, dans les keepseakes, dans les feuilletons, puis il les oublioit, et cependant, à côté de ses nouvelles, de ses romans, de ses souvenirs de jeunesse, il y avoit là dans un cadre plus étroit, et souvent en quelques pages, de véritables petits chefs-d’œuvre, miniatures charmantes auprès de tableaux plus vastes et non moins charmants, où se retrouvent, à un degré supérieur, les qualités distinctives de l’auteur, le style, la sensibilité, la grâce.
Une partie des contes de Nodier a déjà paru dans cette bibliothèque ; mais lorsqu’il s’agit d’une édition définitive, lorsque la mort a frappé un écrivain d’élite, et que désormais aucune page, aucune ligne ne doit s’ajouter à ses œuvres terminées avec la vie, il est du devoir d’un éditeur de recueillir avec un soin religieux cet héritage sacré de l’esprit qui appartient à la postérité tout entière. Il restoit à rassembler ces pages errantes, « à ramener au bercail, comme l’a dit M. Jules Janin, ces brebis vagabondes que le berger n’a pas eu le temps de réunir faute d’un chien de garde, et seulement alors on pourra juger quel étoit cet homme d’une imagination si fraîche, d’une science si charmante. » Nous avons cherché, de toutes parts pour tout réunir, et notre moisson faite, nous avons choisi et rangé dans un même ordre bibliographique les compositions qui appartiennent à un même genre. Nous avons de la sorte établi parmi les contes plusieurs séries, et nous les offrons au public, classés comme l’auteur l’eût fait lui-même, s’il s’étoit donné la peine de rassembler, pour former son écrin, les perles qu’il avoit semées sur sa route, avec l’insouciante prodigalité d’une richesse inépuisable ; car nous avions, pour nous guider dans ce travail, la volonté et les indications de l’auteur lui-même, ce maître dans l’art des préfaces, attachant pour ainsi dire une préface à chacune de ses histoires, et prévenant le lecteur ou l’éditeur qu’il s’agit, tantôt d’un conte fantastique, tantôt d’un conte moral, tantôt d’un conte de la veillée.