Page:Nodier - Contes de la veillée, 1868.djvu/73

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à étrenner ses jeunes amies de quelques vieilleries curieuses qu’elle a rapportées des pays étrangers, elle descend, au coup de dix heures du soir, suivie d’une femme de chambre fort sérieuse et presque aussi surannée que sa maîtresse, dont personne n’a jamais tiré un mot, et qui paroît chargée d’un assez grand panier, propre à contenir des provisions. Cela dure jusqu’au 1er février, qu’elle rentre à la même heure, plus saine, plus nette et plus leste qu’elle n’étoit partie. Les domestiques et les portiers, qui sont, comme vous savez, une espèce indiscrète et bavarde de nature, ont bien essayé plusieurs fois d’éclairer ses démarches, malgré mon expresse défense ; mais ils n’en savent pas plus que nous. Ils ne l’ont jamais retrouvée au détour de la rue, et vous devinez assez leurs conjectures.

Je ne croyois pas avoir rien entendu de plus extraordinaire en toute ma vie ; et plus j’y réfléchissois, plus je sentais un nouvel ordre d’idées se développer en quelque sorte aux yeux de mon intelligence.

— Ce qui m’étonne le plus, poursuivit M. Labrousse, qui comprenoit mon silence, c’est que la haute raison de mon Angélique ait pu se laisser surprendre par ces illusions, au point de leur accorder une importance qu’elles ne méritent pas.

— Ah ! mon ami, m’écriai-je, n’accusez pas Angélique d’erreur pour nous justifier de notre ignorance et de notre crédulité. Qui pourroit assurer que l’obstacle dont elle s’effraye n’est autre chose qu’une rêverie ? En prolongeant la vie de sa créature sur la terre, Dieu ne lui auroit-il pas accordé, pour dédommagement de la dissolution progressive de son être matériel, quelque anticipation prévoyante sur l’avenir de l’âme ? Ne lui auroit-il pas ouvert à l’avance les trésors de cette science illimitée du bien et du mal, qui lui appartient dans le ciel, et qu’il réserve à ses émanations les plus pures ? Seroit-il impossible qu’une fatalité funeste, qui m’est