leuses et de tendres émotions fut-elle négligée par ces habiles artisans de la parole, qui charment de leurs récits les ennuis et les douleurs de l’humanité ? Pourquoi la légende pieuse et touchante fut-elle reléguée à la veillée des vieilles femmes et des enfants, comme indigne d’occuper les loisirs d’un esprit délicat et d’un auditoire choisi ? C’est ce qui ne peut guère s’expliquer que par l’altération progressive de cette précieuse naïveté dont les âges primitifs tiroient leurs plus pures jouissances, et sans laquelle il n’y a plus de poésie véritable. La poésie d’une époque se compose, en effet, de deux éléments essentiels, la foi sincère de l’homme d’imagination qui croit ce qu’il raconte, et la foi sincère des hommes de sentiment qui croient ce qu’ils entendent raconter. Hors de cet état de confiance et de sympathie réciproques où viennent se confondre des organisations bien assorties, la poésie n’est qu’un vain nom, l’art stérile et insignifiant de mesurer en rhythmes compassés quelques syllabes sonores. Voilà pourquoi nous n’avons plus de poésie dans le sens naïf et original de ce mot, et pourquoi nous n’en aurons pas de longtemps, si nous en avons jamais.
Pour en retrouver de foibles vestiges, il faut feuilleter les vieux livres qui ont été écrits par des hommes simples, ou s’asseoir dans quelque village écarté, au coin du foyer des bonnes gens. C’est là que se retrouvent de touchantes et magnifiques traditions dont personne ne s’est jamais avisé de contester l’autorité, et qui passent de génération en génération, comme un pieux héritage, sur la parole infaillible et respectée des vieillards. Là ne sauroient prévaloir les objections ricaneuses de la demi-instruction, si revêche, si maussade et si sotte, qui ne sait rien à fond, mais qui ne veut rien croire, parce qu’en cherchant la vérité qui est interdite à notre nature, elle n’a gagné que le doute. Les récits qu’on y fait, voyez-vous, ne peuvent donner matière à