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Page:Nodier - Contes de la veillée, 1868.djvu/83

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aucune discussion ; ils défient la critique d’une raison exigeante qui rétrécit l’âme, et d’une philosophie dédaigneuse qui la flétrit ; ils ne sont pas tenus de se renfermer dans les bornes des vraisemblances communes, dans les bornes mêmes de la possibilité, car ce qui n’est pas possible aujourd’hui étoit sans doute possible autrefois, quand le monde, plus jeune et plus innocent, étoit digne encore que Dieu fit pour lui des miracles ; quand les anges et les saints pouvoient se mêler, sans trop déroger de leur grandeur céleste, à des peuples simples et purs dont la vie s’écouloit entre le travail et la pratique des bonnes œuvres. Les faits qu’on vous rapporte n’ont pas besoin, d’ailleurs, de tant d’éclaircissements : n’ont-ils pas le témoignage du vieil aïeul qui les savoit de son aïeul, comme celui-ci d’un autre vieillard qui en a été le témoin oculaire ? Et dans cette longue succession de patriarches nourris dans l’horreur du péché, s’en est-il jamais rencontré un seul qui ait menti ?

Ô vous ! mes amis, que le feu divin qui anima l’homme au jour de sa création n’a pas encore tout à fait abandonnés ; vous qui conservez encore une âme pour croire, pour sentir et pour aimer ; vous qui n’avez pas désespéré de vous-mêmes et de votre avenir, au milieu de ce chaos des nations où l’on désespère de tout, venez participer avec moi à ces enchantements de la parole, qui font revivre à la pensée l’heureuse vie des siècles d’ignorance et de vertu ; mais surtout ne perdons point de temps, je vous en conjure ! Demain peut-être il seroit trop tard ! Le progrès vous a dit : Je marche, et le monstre marche en effet. Comme la mort physique dont parle le poëte latin, l’éducation première, cette mort hideuse de l’intelligence et de l’imagination, frappe au seuil des moindres chaumières. Tous les fléaux que l’écriture traîne après elle, tous les fléaux de l’imprimerie, sa sœur perverse et féconde, menacent d’envahir les derniers asiles de la pudeur antique, de l’innocence et de