Page:Nodier - Contes de la veillée, 1868.djvu/93

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pendant, ô Marie, que j’ose vous adorer encore ! prenez en compassion les larmes que je répands, et qui prouvent du moins combien je suis restée étrangère aux lâches trahisons de mes sens ! accueillez le dernier de mes hommages comme vous avez accueilli tous les autres ; ou plutôt, si mon zèle pour vos autels fut digne de quelque reconnoissance, envoyez la mort à l’infortunée qui vous implore, avant qu’elle vous ait quittée ! »

En achevant ces paroles, Béatrix se leva, s’approcha, tremblante, de l’image de la sainte Vierge, la para de nouvelles fleurs, se saisit de celles qu’elle venoit de remplacer, et, honteuse pour la première fois de l’usage pieux qu’elle n’avoit plus le droit d’en faire, elle les pressa sur son cœur, dans le sachet bénit du scapulaire, pour ne jamais s’en séparer. Après cela, elle jeta un dernier regard sur le tabernacle, poussa un cri de terreur et s’enfuit.

La nuit suivante, une voiture rapide entraîna loin du couvent le beau chevalier blessé, et une jeune religieuse, infidèle à ses vœux, qui l’accompagnoit.

La première année qui s’écoula depuis fut presque tout entière dans l’ivresse d’une passion satisfaite. Le monde même étoit pour Béatrix un spectacle nouveau, inépuisable en jouissances. L’amour multiplioit autour d’elle tous les moyens de séduction qui pouvoient perpétuer son erreur et achever sa perte ; elle ne sortoit des rêves de la volupté que pour s’éveiller au milieu de la joie des festins, parmi les jeux des baladins et les concerts des ménestrels ; sa vie étoit une fête insensée, où la voix sérieuse de la réflexion, étouffée par les clameurs de l’orgie, auroit essayé vainement de se faire entendre ; et cependant Marie n’étoit pas tout à fait sortie de son souvenir. Plus d’une fois, dans les apprêts de sa toilette, son scapulaire s’étoit machinalement ouvert sous ses doigts. Plus d’une fois elle avoit laissé tomber sur le bouquet flétri de la Vierge un regard et une larme. La