Page:Nodier - Contes de la veillée, 1868.djvu/94

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prière avoit monté plus d’une fois jusqu’à ses lèvres, comme une flamme cachée que la cendre n’a pu contenir, mais elle s’y étoit éteinte sous les baisers de son ravisseur ; et, dans son délire même, quelque chose lui disoit encore qu’une prière l’auroit sauvée !

Elle ne tarda pas d’éprouver qu’il n’y a d’amour durable que celui qui est épuré par la religion ; que l’amour seul du Seigneur et de Marie échappe aux vicissitudes de nos sentiments ; que, seul entre toutes nos affections, il semble s’accroître et se fortifier par le temps, pendant que les autres brûlent si vives et se consument si vite dans nos cœurs de cendre. Cependant elle aimait Raymond autant qu’elle pouvoit aimer, mais un jour arriva où elle comprit que Raymond ne l’aimoit plus. Ce jour lui fit prévoir le jour, plus horrible encore, où elle seroit tout à fait abandonnée de celui pour qui elle avoit abandonné l’autel, et ce jour redouté arriva aussi. Béatrix se trouva sans appui sur la terre, hélas ! et sans appui dans le ciel. Elle chercha en vain une consolation dans ses souvenirs, un refuge dans ses espérances. Les fleurs du scapulaire s’étoient flétries comme celles du bonheur. La source des larmes et de la prière étoit tarie. La destinée que s’étoit faite Béatrix venoit de s’accomplir. L’infortunée accepta sa damnation. Plus on tombe de haut dans le chemin de la vertu, plus la chute a d’ignominie, plus elle est irréparable, et c’est de haut que Béatrix étoit tombée. Elle s’effraya d’abord de son opprobre, et puis elle finit par en contracter l’habitude, parce que le ressort de son âme s’étoit brisé. Quinze années s’écoulèrent ainsi, et pendant quinze ans, l’ange tutélaire que le baptême avoit donné à son berceau, l’ange au cœur de frère qui l’avoit tant aimée, se voila de ses ailes et pleura.

Oh ! que ces années fugitives emportèrent de trésors avec elles ! l’innocence, la pudeur, la jeunesse, la beauté, l’amour, ces roses de la vie qui ne fleurissent qu’une