Page:Nodier - Dissertations philologiques et bibliographiques.djvu/147

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savants qui ont de bonnes raisons pour souhaiter de n’être pas entendus. C’est aujourd’hui la langue ordinaire de la médecine.

Cette excursion sur le terrain des Argots dont se servent certaines coteries pour s’isoler de la multitude, ne me permet pas de passer le Précieux sous silence. Le Précieux, construit dans les mêmes vues que l’Euphuisme anglois qui le précéda de peu d’années, étoit une espèce de jargon établi dans la bonne compagnie d’où il déborda dans les romans, et auquel se reconnoissoient entr’eux les sots initiés des ruelles. Son artifice consistoit dans une recherche puérile de métaphores énigmatiques, d’hyperboles extravagantes, et de phrases postiches ridiculement prodiguées, qui n’offrent d’ailleurs ni sens ni esprit. Molière fit bonne justice de ce verbiage intolérable, mais le Précieux, battu à outrance dans une délicieuse comédie, ne fût pas vaincu sans ressource, car il est essentiellement rédivive en France. Appliqué un siècle après à la métaphysique alambiquée d’une école cynique de philosophes et de romanciers, il reçut le nom de Marivaudage. À la suite des saturnales sanglantes de la révolution, il inspira le Merveilleux. Il jette encore, au moment où je parle, quelques folles étincelles dans les livres et dans les journaux, et pour le malheur de notre belle langue, si claire, si raisonnable, si sagement circonspecte, il y jouit sans contradiction de tous les honneurs du talent. Molière est mort !

Le comique de la langue gracienne qui est propre à l’Italie, résulte de l’opposition calculée de l’expression avec la pensée, à l’imitation d’un défaut commun dans la conversation des ignorants qui veulent faire étalage de science, et qui emploient les mots à contre-sens parce qu’ils n’en connoissent pas la valeur. Le Quadrio en a rapporté l’origine à un certain Lucio qui la com-