Page:Nodier - Dissertations philologiques et bibliographiques.djvu/82

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M. Brunet, dont l’autorité en pareille matière a force de jugement et de loi, M. Brunet l’a fait en mettant les pièces de ce grand procès littéraire sous les yeux de son lecteur. C’est le cas de lui appliquer, au changement d’un mot près, ce que Voltaire disoit ingénieusement de Bayle : M. Brunet est le procureur-général des bibliographes, mais il ne porte pas ses conclusions.

Sa prudente réticence auroit dû sans doute me servir d’exemple, mais une idée nouvelle est une propriété si précieuse par le temps qui court qu’on a de la peine à se défendre de la mettre en valeur, quand on se croit sûr de l’avoir trouvée. Il n’y a d’ailleurs pas grand danger à se tromper sur une question de pure critique où l’on n’intéresse tout au plus qu’une insignifiante réputation de tact et d’esprit, même quand on passe pour avoir de l’esprit et du tact, et je décline hautement cette ambitieuse prétention. Cet inconvénient seroit plus grave en politique et en morale.

Je sens toutefois la nécessité d’établir d’abord que M. Brunet a jugé bien sévèrement les Grandes et inestimables Chroniques, en les traitant de rapsodie et de production sans esprit. Je conviens que c’est au fond un amas d’hyperboles fort ridicules, faites pour amuser le peuple, et que relèvent rarement ces traits de satyre délicate ou de sublime ironie, si multipliés dans les ouvrages de Rabelais qui nous sont parvenus sous son nom ; mais étoient-elles conçues dans le même plan, étoient-elles destinées au même public, et l’auteur, entraîné à les publier avant leur maturité, ou par des convenances ou par des besoins, avoit-il reçu dès son début la confidence de sa muse, et l’aveu intime de son génie ? Pense-t-on que l’au-