Page:Nodier - Les Femmes celebres contemporaines.pdf/465

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

en même temps plus triste, plus injuste et plus amer. Comme les nuances du monde parisien, le monde d’hier, une époque qu’on avait flattée ou fustigée à outrance, que personne n’avait jugée, sont habilement observées dans Indiana ! Ici un vieux soldat de l’Empire, dur, égoïste, froid, méchant, sans âme, — un portrait que tout le monde avait vu et que personne n’avait osé tracer, pour ne pas donner un démenti formel au théâtre des Variétés, à M. Gonthier, du Gymnase, et surtout aux chansons de M. Béranger ; — là une femme aimante, tremblante, dévouée, malheureuse, horriblement compromise dans un mariage dont elle ne comprend ni les droits, ni les devoirs ; une femme sans principes, encore plus perdue par sa haine pour son mari, que par son amour pour son amant ; encore plutôt victime de sa tête que de son cœur. Quelle belle composition, cette femme !

Cette femme, pauvre créature, imprudente et facile, qui ne sait ni aimer ce qu’elle doit aimer, ni haïr ce qu’elle doit haïr, qui place aussi mal son admiration que ses mépris, ne voit dans la vie que la passion présente ; elle s’abandonne sans rien prévoir à un fat égoïste, à l’un de ces beaux jeunes gens de la société moderne qui s’enfuient avec tant d’effroi devant une passion d’amour. Ce livre faisait ainsi justice des beaux jeunes gens de M. Scribe, comme il faisait justice des braves soldats de M. Brazier. Puis, entre ces trois êtres si bien trouvés, arrive Noun, la jeune servante, aussi faible que sa maîtresse, mais plus courageuse et plus sage, qui se jette à l’eau, trompée dans son amour. Puis, enfin, Ralph, l’ami dévoué et caché qui dévore ses larmes, qui contient sa jalousie, qui impose silence à son cœur, et qui enfin éclate tout d’un coup et s’écrie : — Me voilà ! quand la pauvre Indiana n’a plus d’espoir en ce monde. C’étaient autant de créations !