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PSYCHOLOGIE DU MYSTICISME

il n’est jamais sûr de reconnaître les formes qui se pressent autour de lui sous le déguisement. « Les choses ne sont pas ce qu’elles paraissent » , telle est l’affirmation caractéristique que l’on entend souvent sortir de la bouche du mystique. On lit dans l’observation d’un dégénéré de la clinique de Magnan : « Un enfant lui demande à boire à la fontaine Wallace ; il ne trouve pas cela naturel. Cet enfant le suit, et cela le surprend. Une autre fois, enfin, il voit une femme assise sur une borne, et il se demande ce que cela peut bien vouloir dire [1] ». Dans les cas extrêmes, cette manière de voir maladive s’élève jusqu’à l’hallucination, qui en règle générale affecte l’ouïe, mais peut aussi s’adresser à la vue et aux autres sens. Alors le mystique ne se borne pas à soupçonner ou à deviner, dans les phénomènes et derrière eux, quelque mystère, mais il entend et voit matériellement des choses qui pour les êtres sains n’existent pas.

L’observation psychiatrique se contente de décrire cet état d’esprit et d’établir son existence chez les dégénérés et les hystériques ; mais cela ne suffit pas. Nous voulons aussi savoir de quelle façon le cerveau dégénéré ou épuisé tombe dans le mysticisme. Pour comprendre comment la chose se passe, il nous faut remonter à quelques faits simples de la vie psychique [2].

La pensée consciente est une fonction de l’écorce céré-

  1. Legrain, op. cit., p. 200.
  2. Le psychologue de profession lira peut-être avec quelque impatience ces détails si familiers pour lui. Mais ils ne sont pas superflus pour les lecteurs, même très cultivés, et malheureusement si nombreux, qui ne se sont jamais préoccupés des lois de l’activité cérébrale.