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PSYCHOLOGIE DU MYSTICISME

sans frein, propre au mystique ; il éveille aussi en eux ses représentations-frontières ambiguës et inexprimables, et il leur donne le pressentiment des rapports les plus étranges, les plus impossibles des choses entre elles. Le mystique paraît « profond », pour cette raison, à tous les imbéciles, et cette épithète, par le sens qu’elle a pris dans leurs bouches, est devenue presque offensante. Réellement profonds sont seuls les esprits exceptionnellement vigoureux qui peuvent soumettre leur activité intellectuelle à la discipline d’une attention particulièrement puissante. De tels esprits sont capables d’utiliser l’association d’idées de la manière la plus parfaite, de donner la plus grande acuité et la plus grande clarté à toutes les représentations appelées par elle à la conscience, de les supprimer sûrement et rapidement si elles ne s’accordent pas avec les autres, de se créer de nouvelles impressions sensorielles si celles-ci sont nécessaires pour rendre encore plus vivaces et plus nets les idées et jugements qui justement prédominent en eux ; ils obtiennent de cette façon un tableau du monde d’une incomparable luminosité, et découvrent entre les phénomènes des rapports réels qui restent nécessairement cachés à une attention plus faible. Cette profondeur réelle des esprits extraordinairement vigoureux est toute clarté. Elle chasse les ombres des recoins cachés et remplit les abîmes de rayonnements. La profondeur


    pour nous, que lorsque nous le lisons attentivement dans une langue que nous n’entendons qu’à demi… C’est l’équivoque, l’incertitude, c’est-à-dire la souplesse des mots, qui est un de leurs grands avantages et qui permet d’en faire un usage exact (!!) ». Joubert, cité par Charles Morice, La Littérature de tout à l'heure. Paris, 1889, p. 171.