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LE MYSTICISME

apparente du mystique est, par contre, toute obscurité. Elle fait paraître les choses profondes par les mêmes moyens que la nuit : en rendant non perceptibles leurs contours. Le mystique dissout le dessin arrêté des phénomènes, il étend sur eux des voiles et les enveloppe d’une vapeur bleue. Il trouble ce qui est clair et rend opaque ce qui est transparent, comme la seiche trouble les eaux de l’Océan. Ceux donc qui voient le monde à travers les yeux du mystique, plongent le regard dans une masse noire ondoyante où ils peuvent trouver tout ce qu’ils veulent, quoique, en réalité, ils ne perçoivent rien, et justement parce qu’ils ne perçoivent rien. Pour les imbéciles, tout ce qui est clair, fermement dessiné, et qui n’admet pour cette raison qu’une seule interprétation, est plat. Ils regardent comme profond tout ce qui n’a aucun sens et peut, par conséquent, recevoir toutes les interprétations imaginables. L’analyse mathématique est pour eux plate, la théologie et la métaphysique sont profondes. Plat est le droit romain, profonds sont la Clef des songes et les prophéties de Nostradamus. Les figures qui apparaissent, la nuit de la Saint-Sylvestre, dans le plomb fondu où les bonnes gens prétendent lire l’avenir, seraient les symboles exacts de leur profondeur.

Le contenu de la pensée mystique est déterminé par le caractère et le degré de culture du dégénéré et de l’hystérique. Il ne faut jamais oublier, en effet, que le cerveau pathologiquement altéré ou épuisé est simplement un milieu de culture ensemencé par l’éducation, l’instruction, les impressions et les expériences de la vie, etc. Les grains de semence ne naissent pas en lui, ils reçoivent seulement en lui et par lui leurs arrêts de développement,